mardi 2 août 2016

Une thanatopractrice aux Etats-Unis dans le roman "L'enfant sans nom" de Amy MacKinnon (2008)

Ce roman policier écrit par Amy MacKinnon a pour personnage principal une thanatopractrice, Clara Marsh, qui enquêtera sur des crimes d’enfant. Une occasion de découvrir de l’intérieur ce métier, sans que l’on sache si les pratiques professionnelles relatées dans "L'enfant sans nom" sont proches de la réalité et propres aux Etats-Unis.

L'enfant sans nom
#01 L’embaumement des corps
Le roman commence d’emblée par la description détaillée du travail de Clara, méthodique et précis : « Je plonge le pouce entre les lèvres de l’incision, puis j’enfonce mon index dans la profondeur du cou. A l’inverse des autres vaisseaux, qui offrent juste une vague résistance, la carotide ne se laisse pas faire. Bien attaché entre le cœur et la tête, ce tube solide est souvent alourdi par des années de plaque d’athérome, qui renforce sa volonté de rester en place. Surtout quand la rigidité cadavérique est déjà bien avancée, comme chez cette vieille femme ». S’ensuit un long passage, qui explique pourquoi cette partie de son travail rappelle à Clara la mort prématurée de sa propre mère, sans que l’on sache si cette disparition, qui l’a beaucoup affectée, ait déterminé le choix de son métier. La description reprend, toujours aussi précise, mettant en exergue l’expérience de la jeune femme : « Mes doigts saisissent la carotide dans le cou de la vieille dame, et la tirent à travers la chair. Sur mes gants talqués, ses tissus semblent plus gris qu’ils ne le sont en réalité. C’est le cancer : il suce la couleur du corps des gens comme il suce leur vie, laissant cette artère, autrefois vitale, cendreuse. Je reprends mon scalpel, incise la carotide pour la vider, puis mon attention se tourne vers ce qui fut autrefois une cuisse charnue. Je masse la peau flasque avant d’introduire la seringue dans l’artère fémorale. Le formaldéhyde rose vif lui redonnera un peu de couleur. Les joues caves ont elles aussi besoin d’être regonflées, alors je prépare les autres seringues. En jetant un coup d’œil à la photo que son fils m’a donnée, à présent accrochée au tableau, je commence à réfléchir à la manière dont je vais sculpter son visage. Cela réconfortera les siens de retrouver la femme qu’elle était avant que le cancer ne la dévore. Tandis que le sang s’écoule, remplacé par les fluides d’embaumement, je lui suture la bouche ».
Le récit continue sur un rituel qu’effectue Clara et à laquelle elle associe une réflexion qui permet à l’auteur d’introduire un second personnage, en l’occurrence Linus, le patron de l’agence de pompes funèbres dans laquelle elle est employée. Clara précise que « Comme dans toutes les professions, la mienne a sa routine. C’est au cours de cet interlude, pendant que le sang se vide, avant le début de la toilette, que je procède à cette espèce de rituel ». Plus loin, elle apporte un élément sur la législation en vigueur aux Etats-Unis à moins qu’elle ne soit spécifique à la Nouvelle Angleterre ou à l’Etat de cette région où se situe l’intrigue : « Je préférerais utiliser un gant tiède et de l’eau savonneuse, comme une mère accueille son nouveau-né au début de sa vie, mais la loi exige que je me serve d’un antiseptique précis et d’éponges jetables pour cette dernière toilette ». Tout en donnant de précieuses indications sur les conditions de travail des thanatopracteurs : « L’évacuation du sang et l’odeur de décomposition rendent le processus difficile… ».
C’est alors une opération impressionnante qu'enchaîne Clara qui, après changé ses gants et enfilé un masque de coton, « formalités stériles en cet instant des plus intimes », prend « le trocart accroché au mur », puis « insère l’instrument dans la petite incision de l’abdomen, juste au-dessus du nombril, puis lance l’aspiration ». Non sans ajouter un commentaire qui donne toute sa teneur à cette tâche : « Il est important pour l’esthétique de la veillée que tous les fluides corporels et les organes mous soient retirés ». Une partie de la suite du chapitre sera consacré à des opérations esthétiques avec un nouveau lavage de la défunte, son habillage et son coiffage, puis son maquillage.
Amy Mackinnon

#02 Les autres fonctions liées au métier
Au détour des autres chapitres de ce polar américain, Clara assure d’autres tâches. Elle doit par exemple procéder à l’enlèvement d’un corps retrouvé sans vie dans un appartement. C’est un travail extrêmement physique, en raison du poids du cadavre, et curieusement, c’est seule qu’elle s’y rendra et devra compter sur l’assistance d’un policier pour manipuler le brancard. Elle aura au préalable  analysé la situation pour envisager au mieux le basculement du lourd corps afin de l’insérer dans la housse mortuaire. Elle aura pris soin de se munir d’un pot de Vicks Vaporub pour masquer les odeurs fortes voire insupportables, et aura veillé à clore les paupières du défunt.
De retour au funérarium, elle poursuivra son travail de maquillage, puis elle accueillera les familles éplorées, sans aller jusqu’à prononcer un genre d’homélie comme le fait habituellement son patron Linus. Elle devra aussi se rendre au cimetière pour vérifier si une tombe est creusée convenablement. A cette occasion, nous apprendrons qu’en Nouvelle Angleterre, en raison des conditions rigoureuses de l’hiver, la terre est si dure que les corps seraient conservés jusq'au printemps, ce qui parait surprenant.


Un exemple de trocart (Wikipedia)
#03 Les outils du thanatopracteur
Au titre de sa fonction, et pour les opération sur le terrain, Clara conduit le fourgon de l’entreprise de pompes funèbres, elle manipule le brancard et la housse mortuaire. Dans les sous-sols du funérarium, elle se sert d’une table de travail en acier inoxydable « inclinée de manière à faciliter le drainage des fluides », peut-être semblable à une table d’opération, une impression renforcée par les types d’outils que la thanatopractrice emploie et qui sont utilisés au quotidien par les chirurgiens : le scalpel, le trocart qui est un impressionnant instrument destiné à aspirer les fluides, le masque, et même un nécessaire pour suturer la bouche des « patients ». Le corps est ensuite embaumé grâce du formaldéhyde, plus communément appelé formol.
Le lavage est réalisé à l’aide d’un antiseptique et d’éponges jetables. Pour la partie coiffage Clara fera logiquement usage de ciseaux, de bigoudis, de cire coiffante d’un sèche-cheveux et de laque, et pour le maquillage, de fond de teint, de blush et d’un peu de rouge à lèvre tangerine « trouvé sur la commode de la défunte ».