dimanche 25 octobre 2015

Les congés payés et la semaine de 40 heures dans une chanson de Jean Villard-Gilles (1936)

Si l'épreuve d'histoire-géographie et d'instruction civique du Brevet des Collèges millésime 2015 a fait couler beaucoup d'encre en raison du niveau déconcertant de facilité dont relevaient les questions, il a eu le mérite de sortir des archives historiques cette "chanson des loisirs" de 1936 écrite par Jean Villard-Gilles.
Si elle ne décrit en rien la vie de l'entreprise à l'époque du Front Populaire, elle reflète l'espoir apporté par les mesures sociales instituées par le gouvernement de gauche, avec entre autres la semaine de 40 heures et les congés payés qui apportent "un vent de liberté" et "une vie meilleure".

L'auteur compositeur helvétique, né à Montreux, aura ensuite une très belle carrière, navigant entre des thèmes sensibles comme l'argent, avec Dollar, ou écrivant des chansons de premier plan pour Edith Piaf, comme "Les Trois Cloches" et "l'Auberge de la Fille sans cœur",

Quant à nos collégiens, il leur suffisait de lire la date inscrite à côté du nom de l'auteur de cette chanson pour répondre à la première question de ce Brevet des Collèges.

Sur Jean Villard-Gille, voir ce site de la Radio Télévision Suisse

mercredi 21 octobre 2015

Manipulation psychologique en entreprise dans "Une étrange affaire", un film de Pierre Granier-Deferre (1981)

Bien que dans les 2 cas ce soit l’univers des grands magasins urbains qui serve de support à l’intrigue, ce film de Pierre Granier-Deferre, « Une étrange affaire » se situe aux antipodes de « Riens du tout » de Cédric Klapish, dont nous avons parlé sur ce même blog.
Si la réorganisation traitée dans la fiction du réalisateur alors tout jeune prenait des accents humains, c’est quasiment un drame qui se joue dans la fiction de son aîné. Celui-ci décrit avec une rare acuité, déjà en 1981, les mécanismes de la manipulation psychologique exercée par un patron sur ses salariés en général, et en particulier sur un jeune cadre, Louis Coline, figuré sous les traits de Gérard Lanvin.
Après le décès soudain du directeur de l’enseigne « Les Magasins », un commerce de centre-ville de type « Les Galeries Lafayette », un nouveau dirigeant, Malair (Michel Piccoli) est nommé. Son arrivée suscite un climat anxiogène : on ne donne pas son nom, ce qui laisse planer toutes les inquiétudes. On l’annonce à Bâle, puis à Madrid ou encore à Sarajevo, sa réputation s’accroit, la rumeur enfle, il est même question de « charrettes » … A notre époque et sous réserves de connaitre son identité, les salariés se seraient précipités sur Internet pour « Googliser » le nom du futur patron, mais en 1981 …
Alors qu’on ne l’attend plus, il apparaît. Son comportement est irrationnel, Louis le trouve dans son bureau en train de fouiller dans ses tiroirs ; il en extrait avec curiosité des tickets de  PMU ou de Loto. Le jeune homme se présente, et Malair lui demande de ne pas faire état de cette première rencontre. Mais à l’occasion du tour des services que le directeur ne manque pas d'opérer, il montre clairement qu’il connait déjà Louis. Ce qui ne manquera pas d’inquiéter le chef du service « Publicité » dans lequel travaille le jeune homme. La relation très ambiguë se poursuit, le nouveau dirigeant prend le jeune cadre enthousiaste sous sa coupe, indirectement d’abord, par l’intermédiaire de ses bras droits, Paul, le directeur financier (Jean-FrançoisBalmer) et François (Jean-Pierre Kalfon) qui assure la fonction de chauffeur, homme de confiance et garde du corps. Les 2 collaborateurs les plus proches de Malair, d’une très grande complicité avec lui, s’attribuent le bureau de Louis sur qui le travail de destruction psychologique se poursuit : le boss court-circuite son chef et confie le plan publicité stratégique des « Magasins » à Louis qui finit par se montrer flatté de cette confiance. Le mécanisme de manipulation s’accélère, le patron se montre plus direct, parfois trivial et demande à son jeune collaborateur une disponibilité totale qui confine au harcèlement.

La mine de Louis change, on perçoit chez lui la montée du stress bien qu’il persiste à s’enflammer pour son nouveau statut. Fier de cette proximité avec le patron, un soir, en dehors des heures de service, il emmène Nina (Nathalie Baye), son épouse, visiter le bureau que s’est fait aménager le responsable. Alors que l’on annonce 2 licenciements dont celui d’une salariée victime d’alcoolisme, Malair s’incruste encore plus dans la vie privée de Louis. Il débarque un dimanche matin au bar où le jeune homme joue aux courses en compagnie de l’un de ses amis, et le « kidnappe » sous le prétexte fallacieux de travailler un dossier. La journée s’achèvera par un dîner au cours duquel Louis rencontrera la faune bigarrée que compose la cour de son gourou. Puis Malair débarque ensuite un soir pour dormir chez Louis et Nina au motif que des travaux sont en cours d’achèvement à son domicile, allant sans vergogne jusqu’à s’approprier la chambre du modeste appartement du jeune couple et à s’accaparer la cuisine pour s’y préparer un en-cas.
Cette attitude excessive parait totalement impossible dans la réalité, mais Granier-Deferre y a recours pour analyser avec finesse le processus de manipulation psychologique, en s’appuyant par exemple sur les perceptions et les réactions de Nina, l’épouse de Louis. Malair essaiera d’ailleurs de la séduire, l’invitant elle et son époux pour un dîner durant lequel il annoncera que le chef de Louis « les quitte », puis offrant à la jeune femme une montre. Elle finira par prendre ses distances, expliquant à Louis qu’elle « ne le quitte pas pour quelqu’un d’autre », mais « parce qu’il n’est plus personne ». Toujours méfiante, elle essaiera de l’alerter, qualifiant Malair «d’abstrait, comme  Dieu ».
Après le départ de Nina, Louis se réfugie encore un peu plus dans le travail, et finit par s’installer chez son patron, partageant son intimité avec François, obéissant aux caprices de Malair qui le convoque par exemple dans sa salle de bains alors qu’il est en train de se raser, totalement nu. Le mentor devient de plus en plus autoritaire, il prend son collaborateur pour son larbin, puis un jour, il disparaît sans laisser de traces, au grand désarroi de Louis Coline, totalement désemparé. Ainsi que l’analyse judicieusement Guillemette Odicino dans Télérama, aujourd’hui, « on verrait bien Louis Coline témoigner dans un documentaire sur le burn-out ou le harcèlement en entreprise. Car Louis Coline est comme mort. Frappé de stupeur parce que son patron, son gourou, celui pour lequel il a tout sacrifié l’a abandonné. Fidèle à son poste, il attend qu’il revienne … » Et la journaliste de poursuivre : «  Pourtant, cet employé désinvolte qui végétait au service publicité d’un grand magasin n’avait a priori rien pour se transformer en disciple robotisé. Sauf peut-être un vide à combler, une place à se faire ».
Il y a déjà plus de 30 ans Granier-Deferre anticipait les phénomènes de souffrance au travail avec des comportements symptomatiques de surinvestissement, caractéristiques des « workalcoolics » et le constat d’un manque de reconnaissance qui frappe les salariés, plus particulièrement en France. Peu importe l’entreprise, le réalisateur ne nous montre d’ailleurs pratiquement rien de ces « Magasins » dont on sait seulement que le principal concurrent se dénomme « Les galeries » et dont l’espace de vente sera montré qu’à une seule occasion.

Pour aller plus loin : l'article de Télérama


vendredi 16 octobre 2015

L'usage des stupéfiants à l'usine dans une chanson des Charlots "T'es à l'usine Eugène" (1981)


Dix ans après leur grand succès de 1971, "Merci patron" que nous avons évoqué sur ce blog, les  "Charlots" font à nouveau référence au monde de l'entreprise, plus précisément l'industrie, avec cet autre titre "T'es à l'usine Eugène". Dans la même veine que leur précédente chanson, mais sur un rythme reggae, le groupe populaire raconte les errements d'un collègue ouvrier, Eugène, qui semble moins préoccupé par "sa clé de douze" que par l'usage de produits stupéfiants "qui feraient flipper le Docteur Olivenstein". Ce psychiatre médiatique, spécialisé dans le traitement de la toxicomanie, que l'on voyait apparaître sur les écrans de télévision dès qu'il était question du sujet, de 1970 jusqu'à l'an 2000, était surnommé le "psy des toxicos".
Si, à l'époque, l'usage de drogue dans le monde professionnel n'était pas mentionné comme un phénomène répandu, beaucoup moins qu'actuellement, les symptôme ne laissent aucun doute . Eugène, affiche un "pupille incertaine", éclate de "rire comme une baleine"et "danse en bossant à la chaîne "ce qui altère la productivité : "Tu fais tomber la moyenne". Ce que le patron ne semble pas apprécier : "Le patron n'a pas l'air d'aimer tes confidences sur le reggae".
Comme leur précédent opus, et toujours sur un air léger, les "Charlots" nous plongent donc à nouveau dans le monde ouvrier sur un mode humoristique, à grand renfort de jeux de mots, sans aucune prétention.

Pour lire l'ensemble du texte de la chanson : "Tes à l'usine Eugène".